Interview Jean-Louis Haillet

Joueur de Coupe Davis, toujours au fait de l’actualité du circuit, Jean-Louis Haillet est aussi le fils de Robert Haillet, l’inventeur d’un modèle de chaussure désormais mythique : la Stan Smith, initialement nommée… la Robert Haillet. C’est à Roland Garros, sur la célèbre place des Mousquetaires, que nous sommes revenus sur cette épopée unique… Non sans avoir, au préalable, chaussé Henri Cochet de la première Stan Smith de l’histoire.

Ton papa aurait aimé voir Henri Cochet porter ses chaussures ?
S'il y a un Mousquetaire qui ressemble à mon père, c'est bien lui ! Oui, il aurait aimé être là, avec nous, pour évoquer tout cela.

Quels sont tes souvenirs de la période où ton papa était chez Adidas ?
Je me souviens qu'il revenait des compétitions ou des entraînements avec une semelle à la main et le reste de la chaussure dans l’autre. C'était plutôt comique ! Au début, cela ne fonctionnait pas, c'était un vrai casse-tête. Georges Goven s'en rappelle bien. Il a d'ailleurs essuyé les plâtres pour la mise au point d'une chaussure performante. En fait, la colle ne prenait pas. Il a alors été décidé de coudre le tout. Et puis, avec les ingénieurs d'Adidas, ils sont parvenus à trouver la formule. C’est ainsi qu’est née la Robert Haillet : elle était, d’une certaine manière, le prototype de la Stan Smith que l'on connaît encore aujourd'hui. Et, lorsqu’elle a vu le jour, on était bien loin de prévoir une telle évolution.

Comment la Robert Haillet a-t-elle été accueillie ?
Très bien ! Elle est devenue rapidement la chaussure de référence pour jouer au tennis. La première tennis aussi confortable et robuste. La première en cuir et respirante. Elle apportait vraiment de nouvelles solutions.

Autant dire que cela a été une petite révolution…
Exactement, on a changé de galaxie avec cette chaussure. Sa création a permis de mieux jouer au tennis. A l'époque, c'est Spring Court et Palladium qui équipaient les champions, mais, sur dur et sur gazon, ce n'était pas vraiment formidable.

Avec cette chaussure, le marketing a également fait ses premiers pas dans le tennis ?
Carrément, je me souviens que mon papa était un vrai précurseur en ayant une chaussure qui porte son nom. Il fait même figure de monstre, puisque j'ai retrouvé une publicité qu'il a réalisée pour les cigarettes Camel avec le slogan suivant : « La vraie cigarette des vrais fumeurs ». Je l'ai faite encadrer. Elle est chez moi, car je trouve que c’est vraiment unique.

Ton père est aussi le premier qui a très vite compris quelles pouvaient être les voies d'une reconversion…
En fait, il était entraîneur de l'équipe de France, à l’époque. Horst Dassler (NDLR : le fils d’Adolf Dassler, créateur d’Adidas), qui l'aimait beaucoup, lui a proposé de venir chez Adidas avec le projet de mettre au point une chaussure de référence. Dassler était un homme charismatique et visionnaire. Il a su trouver les mots pour le convaincre. Et puis, ceux qui ont connu mon père savent bien que c'était un homme de challenge. Il a trouvé cette mission plutôt intéressante…

On imagine aussi qu'il a dû bien négocier l’utilisation de son nom par la marque, avec cette chaussure éponyme…
Euh, non, pas vraiment (rires). Au début, en tant que consultant, il avait signé un contrat pour toucher 1% des ventes. Quand il est devenu Directeur France d'Adidas, Dassler lui a expliqué qu'il ne pouvait pas gagner un salaire et ces royalties en même temps. Mon père a accepté.

Comment la Robert Haillet est-elle devenue la Stan Smith ?
Dassler voulait partir à la conquête des Etats-Unis. Mais, à l'époque, il n'y avait pas de filiale là-bas, uniquement des distributeurs. L'idée a été de signer avec un joueur américain. Stan Smith venait de gagner le Masters, c'était le début de l'ère du professionnalisme. Il était un ambassadeur idéal.

C'est là que tout devient épique...
Oui, cela a été l'une des fiertés de mon papa. En 1978, la Haillet était déjà très connue par les professionnels du monde entier. Quand les distributeurs américains ont reçu les chaussures sans la mention « Haillet », mais avec le visage de Stan Smith sur la languette, ils ont décidé de tout renvoyer en Europe, estimant que le produit n'allait pas marcher. Pour eux, c'était Haillet qui allait faire vendre, pas Stan Smith...

Sérieusement ?
Oui, et ils ont expliqué à Dassler qu'il fallait trouver une solution. Comme le patron d'Adidas ne voulait surtout pas fabriquer de nouvelles paires, il a trouvé une astuce en plaçant le nom « Haillet » juste au-dessus du visage de Stan Smith, sur la languette.

Et c'est le début d'une folle épopée…
Oui. La Stan Smith est devenue la référence du marché et pour de longues années. J'ai, d'ailleurs, joué avec elle pendant une partie de ma carrière.

Puis, Adidas a développé la gamme…
Plus le temps passait, plus Adidas maîtrisait les techniques de fabrication. La marque a commencé à créer une vraie gamme. Je me souviens particulièrement de la Arthur Ashe, qui était fabriquée avec un cuir beaucoup plus tendre que la Stan Smith. Ce cuir avait, notamment, été choisi pour Wimbledon. En revanche, sur terre battue, avec les glissades, la chaussure ne faisait pas long feu, elle ne tenait guère plus d'une rencontre. Ensuite, il y a eu des modèles comme la Nastase, la Lendl Pro, la Edberg… Bref, on est entrés dans une nouvelle dimension.

J’imagine que tu conserves au moins un modèle de la Robert Haillet ?
Et bien non ! (Rires) J'ai bien deux paires des premières Stan Smith, dont celle que l'on a mise aux pieds de la statue d’Henri Cochet (voir photo), mais, en revanche, je n'ai pas la Robert Haillet. Adidas doit en avoir, c'est une véritable pièce de musée.

Source: We love tennis.